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Chroniques
Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner
Aller voir Parsifal un dimanche de Pâques relèverait presque de la posologie wagnérienne. Pour autant, la mise en scène que Tatjana Gürbaca avait réglée pour l'Opéra des Flandres (Vlaamse Opera) en 2013, reprise aujourd'hui à Anvers, interroge le drame de manière assez novatrice, en dehors des balises herméneutiques en vigueur, qui vont des reliques de la tradition illustrative, plus ou moins épurée, à la traduction de l'initiation du reine Tor dans les vicissitudes politiques germaniques du siècle écoulé, relativement en vogue ces dernières années – Claus Guth à Barcelone dans une production importée de Zürich [lire notre chronique du 12 mars 2011], ou encore la polyphonie visuelle de Stefan Herheim à Bayreuth [lire notre chronique du 15 août 2011].
Dans le dépouillement d'un blanc quasi clinique du décor dessiné par Henrik Ahr, la metteure en scène allemande livre une critique anthropologique du Graal, de son rituel, sa société et sa signification, mise en valeur par sa symbolisation atemporelle, entre autres à travers les costumes imaginés par Barbara Drosihn, déclinant un camaïeu de blanc et d'écru – uniformes de Montsalvat qui brandit son détachement de la corruption terrestre. Sans colombe ni calice, c'est pourtant de religieux qu'il est question, sans cesse, et plus précisément d’idolâtrie – ce qui ne manque pas d'acuité dans un opus entouré plus que tout autre d'une fascination cultuelle, inscrite dès la taxinomie du titre.
Pendant le Prélude, la communauté assiste, silencieusement réprobatrice, à l'union charnelle où Amfortas succombe à la tentation de Kundry. L'explicitation de l'éternelle plaie du roi ne saurait être plus littérale et souligne son déchirement devant son ministère. Indigne de la pureté du Graal, l'idée même de l'office attise l'impossible cicatrisation de la faute : des coagulations rouges et noires descendent en rigoles depuis les cintres sur le plâtre quand revient le spectre mémoriel du péché et de son insolvabilité. Le sang, et son écoulement, assume la sémiologie du mal – il serait tentant d'y voir aussi la métaphore des menstruations, tant la fécondité féminine se trouve censurée dans ce cercle chevaleresque, même si cette précision réduit un peu le spectre exégétique.
Face à cette hémoglobine maudite, les hommes de Montsalvat chaussent lunettes et filtres solaires, aveuglés par l'horreur de la chair autant que par l'attente du Graal, symbolisé par l'intensification irradiante de la lumière. Avec intelligence et sans disperser l'homogénéité épurée des couleurs, blanc et jaune essentiellement, le travail de Stefan Bollinger module la palette des éclairages pour façonner des atmosphères au gré du drame et des lieux. Ainsi en est-t-il du tamis qui recouvre le repaire de Klingsor, meublé de quelques filles-fleurs ayant épuisé depuis longtemps leur quota de pollinisation, avachies en tutu sur des chaises laissées avant que n'arrive le contingent de corolles fraîches – on pourrait trouver un langage scénographique apparenté chez Warlikowski.
Mais c'est dans le traitement des ensembles et des masses chorales – au demeurant admirablement préparés par Jan Schweiger, en particulier ceux d'hommes, d'une violence presque expressionniste au troisième acte – que se concentrent les intentions, sinon le message, de la mise en scène. Tandis que Gurnemanz, en fauteuil à mobilité réduite, décline son récit, la garde du Graal, une éponge à la main, impose des ablutions délicates à des enfants, chevaliers de demain, prédestinés à l'innocence des cygnes, également codifiés par ces êtres encore vierges de puberté, à en croire la victime de l'arc de Parsifal. Le rite sacré prend l'allure d'un cercle au milieu duquel le héros semble errer, en quête d'un sens qui lui échappe. Affamé de rituel à l'heure du Vendredi Saint, le peuple lynche le roi qui s'est soustrait à son office, jusqu'à condamner Titurel à la tombe éternelle. En Parsifal, la foule saluera alors une nouvelle idole, quand Amfortas trouvera la rédemption dans la mort qu'il réclamait et dans laquelle Kundry le rejoindra – un écho au tristanien amour dans la mort ? Pour être une variante à la lettre du livret, l'issue du drame précise le propos du spectacle qui dévoile le pessimisme humaniste derrière la célébration de l'Enchantement final.
Dans le rôle-titre, Erin Caves affirme une incarnation nuancée, à rebours des tentations monolithiques [lire nos chroniques d’El público, Tristan und Isolde, Das Rheingold et Die Walküre]. Un peu figé dans la gaucherie au début, son personnage évolue en même temps que son camaïeu expressif, n'hésitant pas à tutoyer les fragilités de sa tessiture dans l'allègement de sa partie supérieure. Si Štefan Kocán satisfait en Gurnemanz solide et rond, un rien uniforme sans doute [lire nos chroniques du 1er mars 2014 et du 19 octobre 2008], c'est l'Amfortas incandescent de Christoph Pohl qui retient l'attention. Le grain et les couleurs, riches, de son timbre, portent une authentique sensibilité qui décrit avec une évidente justesse une souffrance jamais caricaturée [lire nos chroniques des 27 octobre et 5 février 2017]. À peine devinera-t-on une discrète fatigue à l’Acte III qui n'altère aucunement l'excellence de la composition, qualité que partage la Kundry de Tanja Ariane Baumgartner que l'on peut compter parmi les meilleures titulaires du rôle, aujourd'hui et vraisemblablement bien au delà. Entre la maîtrise des registres (qui refuse les facilités de poitrine), l'homogénéité de l'instrument, la vaillance des aigus et l'intelligence du texte, ce ne sont que louanges qui viennent sous la plume pour distinguer ses interventions [lire nos chroniques du 1er février 2018, du 19 février 2017, du 18 mai 2014 et du 25 janvier 2013].
Le reste du plateau ne démérite pas.
Comme il est d'usage dans la maison flamande, on fait appel à des solistes du Jong Ensemble Opera Vlaanderen, programme entre l'académie et la jeune troupe. Pour cette production, ils sont au nombre de deux. Denzil Delaere assure les répliques du troisième écuyer [lire nos chroniques du 17 novembre et du 23 septembre 2017, ainsi que du 14 avril 2016] aux côtés d’Anat Edri, Lies Vandewege et Stephan Andriaens, respectivement première, deuxième et quatrième de la caste. Solide et prometteuse basse, Markus Suihkonen réserve un puissant Titurel et un second chevalier vigoureux, tandis que le premier revient à Dejan Toshev. Sa noirceur fait passablement défaut au Klingsor amidonné de Kay Stiefermann.
Un Parsifal ne peut tenir sans une direction d'orchestre. Celle de Cornelius Meister appartient à celles qui marquent. Le chef allemand rend vaines les gloses sur les tempi et la durée. Certes, la soirée occupe cinq heures trente, nettement plus que sous la férule d'un Boulez, par exemple. Cependant, sa battue ne recherche pas la lenteur, surtout pas pour ses supposées vertus hiératiques dont sa lecture ne cesse de se départir [lire nos chroniques du 2 septembre 2015, des 9 août et 9 avril 2014, du 12 janvier 2013 ainsi que du 17 juin 2009]. Elle privilégie la plasticité de la pâte orchestrale et ne refuse pas une évidente vitalité quand la partition l'exige. Au contraire, les séquences extatiques sont étirées, non pour s'attarder sur quelque pesanteur germanique mais pour aérer les textures et faire respirer le tissu sonore. S'il y a mysticisme, c'est celui de la sensualité cristalline, à l'instar de la coda, où la lumière inonde le crescendo des cordes qu'elle rend semblable à de l'onde. On saluera par ailleurs les mérites d'une fosse, encouragée à livrer le meilleur d'elle-même, même si la conception générale n'élude pas toujours les relatives aridités du début du III. Assurément un grand Parsifal !
GC